Le shiatsu est une pratique manuelle.
Il est ancré dans la vie paysanne du Japon, et fait partie de la quotidienneté du pays. Bien sûr, le geste est technique, il est appris, longuement, et avec modestie.
Le shiatsu est de l’ordre de l’artisanat. Il n’est pas de l’ordre du religieux comme certain-es voudraient le faire croire avec des prières avant la pratique, des sourires compassés, un charabia New Age.
J’insiste : il vient des villages et des campagnes, et s’il est évidemment frotté de médecine traditionnelle chinoise qui lui sert de base théorique, le bagage du/de la pratiquant-e se constitue dans la patience, dans la multiplication des cas, dans les difficultés présentées par des patient-es. Il faut parfois rouvrir les livres, et parfois il faut les refermer et se concentrer sur ce qu’il y a sous les mains.
Sous les mains : c’est dire qu’il s’agit d’un art du toucher. Ce toucher est au cœur du soin, autant pour les Praticien-nes que pour les patient-es.
Tout l’enjeu aujourd’hui est là. Donner en France sa crédibilité à une pratique de soins qui n’a aucun besoin de s’entourer d’une aura de spiritualité, mais au contraire d’obtenir la même reconnaissance qu’elle a dans son pays d’origine et dans la plupart des pays d’Europe.
Nous disons toucher, donc. Nous parlons technique, nous déployons des méthodes, nous pouvons reproduire des gestes ou des stratégies dont nous avons vérifié l’efficacité dans des cas précédents.
Nous avons, et le/la patient-e a : des sensations. Observables, descriptibles, précises, répétées, reconnaissables.
Nous entrons dans un domaine où le vocabulaire de la science remplace celui, imprécis, changeant, parfois loufoque d’une certaine spiritualité à la mode. Ce vocabulaire est en tout point semblable donc, à celui de l’artisanat – on l’entend dans le discours du luthier, du charpentier, du ferronnier.
Marcel Crest est neurologue. Membre du CNRS, il fut en charge du Laboratoire de Neurosciences Cognitives, à l’Université Aix-Marseille. Son domaine d’étude est précisément le toucher.
Si la science a largement analysé et décrit l’ouïe et la vue notamment, le toucher est en revanche, le dernier de nos cinq principaux sens à faire l’objet du même approfondissement. Deux prix Nobel de médecine ont d’ailleurs été récemment attribués (2021) pour des recherches sur le toucher.
Dans la vidéo ci-dessous il jette un pont entre l’empirisme de la démarche du Shiatsu et l’approche scientifique, et donne des clés pour comprendre comment la peau informe le cerveau. En décrivant le fonctionnement du toucher, il permet d’établir qu’il y a une efficacité au toucher dans le domaine du soin, et que celui du Shiatsu a bien un effet sur les capacités d’auto-guérison du corps. Stimulation, dispersion, (ou Ho et Sha en japonais), précision, intensité et rythme des pressions ne sont pas des fabrications mentales, mais le résultat d’une pratique et d’observations, de corrections et d’adaptations de la part des Shiatsushi sur des siècles, que désormais la science étaye par la preuve.
Cette preuve demande à continuer d’être construite et structurée, bien sûr. Mais la conférence (ci-dessous) du Professeur Crest au Congrés du SPS – accessible, pédagogique et passionnante – propose déjà les éléments d’une collaboration plus étroite entre praticiens et scientifiques.
Cette collaboration est indispensable à la reconnaissance du Shiatsu. Elle doit se faire sous la forme d’expérimentations où scientifiques et praticien-nes échangent, s’interrogent, font des tests, et produisent des résultats communicables sous la forme d’articles académiques. Elle doit se faire également sous la forme d’ateliers entre praticien-nes, où, comme les médecins, on s’interroge sur les méthodes, on fait des études de cas, on compare des réactions de patient-es ou des techniques mises en œuvre. Mais aussi où l’on se parle de ses difficultés personnelles face aux patient-es, face à la maladie et l’infirmité, où l’on parle encore de ses sensations, de ses réflexions…
Pour conclure, mon propos n’est pas de dire que la science doive recouvrir le Shiatsu d’un vernis de technicité, d’une froideur de laboratoire.
Le Shiatsu – je l’affirme pour ma pratique personnelle – est un art du toucher, où la finesse, l’humanité, l’écoute, l’intuition parfois, la sensation toujours, forment notre quotidien, et la base de la relation avec les patient-es.
Mon propos est bien de dire que la science nous offre les moyens non seulement d’une reconnaissance dont la profession a besoin pour se développer, mais encore des éléments pour mieux comprendre comment nous agissons, « comment ça marche », qui ne peuvent qu’être bénéfiques à la pratique.
C’est dire, avec modestie et simplicité, que le Shiatsu du XXIème siècle a tout à gagner à poursuivre un dialogue où la noblesse de l’artisanat est accompagnée par la science.